Lors du dernier atelier que nous avons animé en février dans la librairie Pantagruel à Marseille, dont le cycle porte sur la thématique “Partir”, nous avons proposé aux participant·es d’explorer leurs propres souvenirs. Notre consigne : Raconter un souvenir de départ depuis le point de vue d’un élément qui le compose – un objet, un lieu, une odeur.

“J’étais une plaine, une vaste plaine, aux marécages moelleux qui se fondaient dans le lac. Les troupeaux, les échassiers, les hommes aux chaussons de peau caressaient les herbes folles qui me couvraient. D’autres hommes sont venus et ils ont creusé mes veines, ils ont charrié des cailloux, ils ont tracé des lignes droites et ils ont fini par me tatouer au noir de leur asphalte. Ils s’agitent, ils m’habitent et parfois, ils me quittent. Ils vont et viennent. Ils ont creusé mon sol et volé mon silence. Un jour, il reviendra. Ils sont si nombreux, si nombreux à se croire importants. Le poids de leur vie pèse sur mes os. Leurs amours, leurs chagrins, leurs envies, leurs plaisirs, leurs folies. Ils m’encornent, ils m’embaument. Je persiste. Je serai, après eux. Quand leurs gratte-ciels se déliteront, quand les herbes folles repousseront dans les fissures, quand leurs pierres assemblées formeront à nouveau des monticules branlants. Ils ne font que passer, en pendulaire sur des détails qui les occupent à temps plein. Je les aime, je les déteste, je les vois. Tous, et chacun d’entre eux. Ils seront sous ma peau d’ici peu.”

Cécile Gaud